jeudi 9 septembre 2010

Le jeu du concours de beauté ...


Et si je vous lançais un défi: choisissez les 3 plus belles filles de la photo. Si l'une d'entre elle fait partie des 3 plus belles filles choisies par l'ensemble des participants, vous gagnez un cadeau! Qui choisiriez-vous?

Il y a alors plusieurs types de joueurs: le joueur de base, qui choisit les 3 filles qu'il préfère, et le joueur plus stratégique, qui lui choisit les filles ayant le plus de chances de faire partie des "favorites du concours". Pour cela, il ne sélectionne non pas les candidates sur les bases de ses goûts personnels mais celles qu'il pense que les autres auront le plus choisi (afin d'avoir plus de chance de gagner!). Logique, non?

Cette métaphore du concours de Beauté (beauty contest game en anglais), fut utilisée par l'économiste Keynes dans son ouvrage Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie afin d'illustrer le fonctionnement des marchés financiers. En effet, en bourse, vous ne fixez pas le prix d'un produit d'après sa valeur absolue, mais bien sur le prix que vous pensez que les autres seront prêts à payer pour obtenir cet objet!
 
Le jeu du concours de beauté peut également être abordé sous sa forme mathématique (p-beauty contest game en anglais), où les joueurs doivent sélectionner non plus des visages mais des nombres entre 0 et 100. La solution logique renvoie alors à un équilibre de Nash, c'est-à-dire à une situation d'équilibre entre plusieurs joueurs connaissant leur stratégie réciproque et ne pouvant en changer sous peine d'affaiblir leurs positions respectives. 
Moulin (1986) établit le p-beauty contest game suivant: les joueurs doivent sélectionner un nombre compris dans l'intervalle [0;100]. Pour gagner, il est nécessaire d'avoir choisi le nombre le plus proche de p fois le nombre moyen choisi par l'ensemble des joueurs. Deux cas se présentent: p<1 (généralement 2/3, ou 1/2) ou p=1, tel que l'avait définit Keynes. En d'autres termes, si le nombre moyen choisi est 56 et p=2/3, le gagnant sera le plus proche de 56x2/3, soit 37. Dans le cas où p<1, l'équilibre de Nash est 0, dans le cas où p=1, de nombreux équilibres sont alors possibles.

Rosemarie Nagel (1995) conduit expérimentalement le p-beauty contest game et décrit plusieurs niveaux de raisonnement logique. En effet, il existe des joueurs de bas niveau, avec un faible raisonnement stratégique, ou de haut niveau, avec un fort raisonnement stratégique. Le joueur de plus bas niveau, ou niveau L0, choisira ainsi un nombre purement au hasard entre 1 et 100. Les joueurs de niveau immédiatement supérieur (L1, niveau 1) pensent que leurs adversaires sont de niveau 0 et adaptent leur stratégie selon cette prédiction. En supposant que les autres joueurs sont des L0 alors le nombre moyen choisi devrait être 50, un L1 choisira donc 33 (50x2/3). De même, les joueurs de niveau 2 (L2) pensent que leurs adversaires sont de niveau 1. Ils choisiront donc 22 (33x2/3). Et ainsi de suite pour les joueurs de niveau 3, 4, 5 ... Dans l'hypothèse d'une infinité de niveaux de raisonnement, l'équilibre de Nash est établi lorsque tous les joueurs choisissent 0. De façon empirique, le niveau de complexité du jeu excède rarement le niveau 3, si bien que les joueurs sont de catégorie L0, L1, L2 ou L3, conformément aux prédictions de Keynes.

Comme énoncé ci-dessus, l'équilibre de Nash obtenu dans un p-beauty contest game dans l'hypothèse où p<1 devrait être 0. En effet, en choisissant tous 0, l'ensemble des joueurs sont à égalité et remportent le prix. Cependant, les nombres choisis lors d'expériences menées sur des sujets sont plus de l'ordre de la dizaine ou de la vingtaine. Pourquoi? Le jeu du concours de beauté, dans sa formulation mathématique tout du moins, requiert la mise en place d'un raisonnement par itération. Un niveau L3 doit, pour arriver à son choix, supposer que ses adversaires sont de niveau L2, qui pensent eux-mêmes que leur adversaires sont de niveau L1, pensant à leur tour que leurs concurrents sont de niveau L0. Un L3 doit donc passer par un raisonnement en série hautement difficile avant d'énoncer son choix final. Les capacités cognitives humaines étant limitées, les joueurs dépassent rarement le niveau L3, et c'est pourquoi l'on observe une différence entre l'équilibre de Nash théorique (0) et les nombres effectivement choisis.

Liens: 
Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie John Maynard Keynes, traduit par Jean de Largentaye, éditions Payot, chapitre 12 n°V
Unraveling in Guessing Games: An Experimental Study"

Remarque: cet article semble en grande partie extrait de wikipédia, mais ne vous y fiez pas, c'est moi qui à l'époque avais écrit l'article!

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