Scandale Kerviel, crise de subprimes, scandale Leeson ... Un homme, une décision ... des pertes colossales, une crise sans précédent. Mais comment diable est-ce possible ?
Les approches économiques et financières classiques peinent à apporter des réponses à ces évènements, notamment dans une finance gérée par des acteurs irrationnels et en interdépendance (c'est-à-dire supposant des comportements de groupe, les actions de l'un des acteurs ayant une influence sur le comportement des autres) La neuroéconomie se pose alors comme un nouvel outil en terme de compréhension des dysfonctionnements à l'origine des crises économiques. Cette discipline - dont le nom apparaît pour la première fois dans les années 2000 sous la plume de Paul Glimcher - étudie les bases cérébrales des prises de décisions économiques et financières. Elle suppose un rôle phare des émotions dans la prise de décision, à l'inverse des théories classiques prenant pour hypothèse une totale rationnalité des acteurs du marché.
Une étude récemment publiée dans ce domaine établit ainsi une relation entre instabilité boursière et état émotionnel des traders, se traduisant par exemple par une prise de risque accrue. Si l'on étudie la chronologie de l''affaire Kerviel - qui avait entrainé la perte recorde de 5 milliards d'euros à la Société Générale -, force est de constater qu'elle intervient en 2008, période de forte instabilité boursière. Mais revenons à l'aspect purement cérébral et biologique de la chose. Comment peut-il y avoir une relation entre état des marchés et émotions des traders?
La littérature foisonne d'articles à ce sujet. L'une des études les plus célèbres reporte ainsi une corrélation entre taux de testostérone et de cortisol (hormone de stress) et volatilité des marchés. Une seconde montre des réactions émotionnelles supérieures chez les traders expérimentés, comparés aux jeunes arrivants, face à des évènements aléatoires. Une troisième explicite le lien entre circuit de la récompense au niveau cérébral et investissements. Ainsi, le sentiment de récompense est accru lors d'investissements à haut risque par rapport au même investissement dans une situation à faible risque. Enfin, les émotions négatives ressenties lors d'une perte sont supérieures aux sensations de plaisir ressenties lors du gain de la même somme (La perte de 100 euros entrainera une sensation négative. La même intensité en terme d'émotion positive sera ressentie si vous gagnez 200 euros). La biologie peut donc, via des circuits hormonaux et émotionnels, conduire à des prises de risques de risques inconsidérés.
Revenons-en au scandale Kerviel. La neuroéconomie apporte un regard nouveau sur l'emballement de la machine. La perte initiale d'un premier milliard s'est soldée par une série de décisions hasardeuses, prises sous le coup de l'émotion, d'une volonté irrationnelle de réparer certaines erreurs ... aboutissant à une perte finale de 5 milliards.
La compréhension de certains des mécanismes biologiques à l'origine des dysfonctionnements financiers apporte donc un éclairage nouveau sur la gestion du risque au sein des marchés. A l'échelle individuelle, la prise de conscience du rôle des émotions - individuelles et collectives - sur la décision et l'investissement pourrait permettre de réguler le phénomène.
C'est tout du moins ce que se plaît à croire la neuroéconomie ... avec comme chef de file le best-seller de Jason Zweig : Your Money and Your Brain: How the New Science of Neuroeconomics Can Help Make You Rich.